Isabelle Bonjean Photographe

4 janvier 2019

Interview In Situ 

Bonjour Isabelle,

Si tu me voyais pour la première fois, comment te présenterais tu rapidement? 

« Dans un contexte professionnel ? « 

« Professionnel ou personnel, comment te présenterais tu en 2, 3 phrases? »

« Dans un contexte professionnel, je dirais : Bonjour, je suis Isabelle Bonjean, je suis photographe de natures mortes et de beauté…Point. En général c’est ce que je fais « 

Si tu étais mon professeur, comment me raconterais tu ton parcours? 

« Je suis devenue photographe parce que je ne pouvais pas devenir écrivain. »

 « Et pourquoi ? »

« Parce que j’aime beaucoup écrire mais que je n’avais pas forcément de message…enfin je n’avais pas cette sensation… J’ai par hasard découvert à 16 ans, le club photo du lycée et ça a été une vraie révélation, un vrai choc, un coup de foudre. »

« C’est donc parti d’un coup de foudre ? »

« Oui et je me souviens être rentrée à la maison et avoir dit à mes parents : « et bien voila je veux être photographe ». Ils m’ont regardée comme si j’avais été percutée par un 38 tonnes (elle sourit). Ce qui est drôle, c’est qu’au départ je ne voulais absolument pas être photographe de natures mortes, je voulais être reporter de guerre… Parallèlement, je regardais beaucoup de magazines. À l’époque, il y avait beaucoup de magazines papiers évidemment, pas du tout d’internet, ça n’existait pas, c’était en gestation quelque part au Pentagone (dit-t-elle amusée) et j’étais vraiment très fascinée par tout ça aussi, par l’image en général, par la beauté des femmes que je voyais sur les images.  J’ai fait une fac de photos et de vidéos à Marseille, où j’ai appris beaucoup de choses, très intéressantes, même si j’ai beaucoup séché les cours…(elle rit). Je quitte donc la fac et je monte à Paris. A l’époque, comme j’étais très sure de moi et très naïve aussi (elle sourit), je me souviens être allé au ELLE avec mon petit dossier de fin d’études pour rencontrer le DA pour lui dire « bon bah voilà je viens faire des séries quoi ! » …Normal, j’ai 21 ans..Salut vous ! (elle éclate de rire).  Il m’a regardé très gentiment et m’a dit en ouvrant le ELLE « Tu vois ta photo de fille en maillot de bain, ça c’est une photo de Gilles Bensimon, tu vois la différence ? », je dis « bah oui…oui… », il me dit : « Et bien voilà tu vas apprendre ton métier d’abord et après tu feras des photos, donc tu vas devenir assistante ». C’était la première fois que j’entendais ce mot. Je suis donc devenue assistante d’un photographe puis assistante de plateaux où j’ai assisté des photographes de natures mortes, et alors que j’étais enceinte de ma première fille, j’ai fais mes premières photos de natures mortes. C’est ensuite que j’ai eu le coup de bol de ma carrière.

« Quel a été ce fameux coup de bol ? « 

« Je démarchais les magazines avec mon petit dossier de natures mortes et je vais voir William Stoddart chez Madame Figaro. il me reçoit avec beaucoup de gentillesse et me dit « tu vas faire des photocopies des images que tu as faites dont tu penses qu’elles collent avec la ligne éditoriales du magazine et tu me les envoies par la poste. Je fais les photocopies, et je les envoie en me disant que ça ne servira à rien … 15 jours après, je reçois un coup de fil de William Stoddart qui m’annonce qu’il va me confier le spécial accessoires…24 pages ! Je me suis retrouvée plongée d’un coup dans le grand bain avec Sophie Vigier qui était LA papesse de l’accessoire, qui m’a fait une confiance totale et j’ai shooté cette série. À la suite de la sortie de ce magazine, William Stoddart me rappelle pour photographier des diamants, ce que je fais.  15 jours après que le magazine soit sorti, durant la Fashion Week, mon téléphone sonne. J’entends une voix hyper grave avec un accent italien, c’était la rédactrice en chef du Vogue Joallerie Italie ! Elle m’a demandé de venir à Milan pour shooter pour elle,  là je me suis dit que j’étais entrée dans un univers parallèle (elle rit).  J’ai fais ce shooting et les choses ensuite, ce sont enchainées. »

Si tu devais me raconter ton meilleur souvenir professionnel ? 

« Je ne peux pas te dire mon meilleur souvenir professionnel parce que je n’ai eu que des souvenirs professionnels incroyables, j’ai vécu tellement de choses fantastiques… Je vais plutôt évoquer quelqu’un qui a été très cher dans mon parcours, avec qui j’ai eu une collaboration hyper fructueuse. C’était une rédactrice du Vogue Japon qui s’appelait Yuki Matsuyama et qui malheureusement est décédée très prématurément il y a quelques années et avec qui j’ai eu une collaboration absolument merveilleuse . On a fait des séries incroyables : Des bijoux d’un million d’euros par terre dans Paris dans les feuilles mortes, recréé un film à la Hitchcock dans un appartement Haussmanien avec une blonde qui se fait assassiner, on a fait des images inspirées de Wharol ou de Baldessari, on s’est inspirées de Sophie Calle pour un sujet dans un grand hôtel Parisien… C’était un travail hyper riche … Elle me manque beaucoup … « 

Si tu devais me raconter ton pire souvenir professionnel? 

« Le pire c’est certainement le moment le plus triste de ma carrière, c’est la mort de Yuki, ça a été un moment très triste, très difficile… y’a rien de pire que la mort de quelqu’un… »

Si tu étais acheteuse d’art, qu’elle photo de toi achèterais-tu ? 

« Hum… Je crois que c’est impossible à dire parce que … ça changerait d’une heure à l’autre… J’ai fais énormément de choses et du coup il y a des trucs que j’aime beaucoup encore et d’autres moins … J’en sais rien … J’espère que la prochaine photo que je ferai sera celle que j’aurai envie d’exposer … vraiment !  » 

Dans cette instant, là spontanément, laquelle te viens à l’esprit ? 

« On va dire la photo de la rose qui émerge d’une texture… Cette photo là elle me représente parce que d’abord elle est simple, elle raconte quelque chose, elle est maîtrisée techniquement mais elle n’est pas non plus trop parfaite au sens où elle vit quand même et puis aussi parce que je suis passionnée par le set design et par les idées de set design et que cette image là ça se retrouve dedans. » 

Photo Isabelle Bonjean – Retouches Chic Paris 

Si tu devais me parler de ton plus grand choc artistique? 

« Ah! c’est Bill Viola! C’est Tristan et Isolde mis en scène par Peter Sellars à la Bastille avec les vidéos de Bill Viola. Pour moi, c’est le plus grand spectacle que j’ai vu, j’y suis retourné les 4 fois qu’ils l’ont donné, je pleure comme une madeleine à chaque fois… Voilà… (elle sourit) . » 

Si tu devais réaliser ton plus grand rêve professionnel, quel serait-t-il ? 

« Mon rêve professionnel serait de continuer en fait… j’adore mon travail…et je pense que si je veux faire quelque chose, je me donne les moyens de le faire. Rien n’est impossible quand on le veut vraiment…Je pense que si tu es suffisamment passionnée par un sujet, les gens te suivent … J’adorerais que certains magazines m’appellent, mais ce serait plus une question d’ego, de prestige (elle rit). Tu vois par exemple, le livre Chopard de l’année dernière, pour certains ça peut paraître rien, pour moi c’était une expérience incroyable….Être dans cette urgence, cette exigence de qualité, sur des images qui sont très simples mais très bien réalisées, d’une beauté très calme, avec une retouche incroyable…Finalement je me rends compte que ce genre de projet m’excite énormément. »

Si tu étais un film, lequel serais-tu ?

« Whaou…. (elle cherche). J’ai absolument adoré Biutiful,  absolument adoré ce film, je ne l’ai pas revu, je ne veux pas encore le revoir parce que j’en ai un souvenir tellement fort …C’est un film tellement tragique, tellement optimiste en même temps, de mon point de vue hein !, Je l’ai décrypté comme ça. Tellement abominable sur la réalité de l’époque et puis tellement rempli de magie et de mystères étranges… Il y a une forme de poésie fataliste et de tristesse et de joie absolument invraisemblable dans ce film.  » 


Si tu avais des supers pouvoirs qu’est ce que tu changerais ? 

 » Mais là il faut pas rentrer là dedans hein, très mauvaise idée , on va pas en parler de ça (elle rigole) . » 

« Bon ok, alors si tu étais un super héros, lequel serais tu? » 

« Je pense que nous sommes tous des supers héros… Avec un petit plus pour les femmes quand même, qui à mon sens ont de sacrés combats à mener…Mes filles sont des supers héroïnes, mes nièces, mes cousines, moi, toi, Marie … Toutes les femmes . » 

Si tu étais seule sur une île, qu’est ce que tu emporterais?

« Bah rien ! le principe c’est d’avoir la paix tu vois (elle éclate de rire). J’emporterais rien du tout, en espérant que l’île est hospitalière et que je peux me nourrir (elle rit). Tout ce que tu vas emporter va te donner des regrets, donc autant embrasser le futur qui s’offre à toi…Sans rien ! » 

Et enfin, si tu étais une boule de cristal, comment te verrais tu dans 10 ans ?  

« Exactement pareil qu’aujourd’hui en fait … » 

Merci Isabelle et bonne continuation ! 

Caroline Seroussi